Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Un arbre coupé, un arbre planté. Jeux de société et empreinte écologique

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Hier à la rédac nous avons reçu la toute nouvelle et somptueuse édition de la Chasse aux Monstres, le jeu pour enfants de l’éditeur québécois Le Scorpion Masqué, créé par Antoine Bauza (7 Wonders). Sorti en 2009 et toujours un gros carton. Et quelle ne fut notre surprise en découvrant ça:

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Un arbre coupé = un arbre planté.

Curieux de nature, vous nous connaissez, nous nous sommes aussitôt jetés dans notre jet privé Gus&Co* pour faire Genève-Montréal dans la journée et poser quelques questions à Christian Lemay, éditeur du Scorpion Masqué.

Nous avons voulu savoir pourquoi il s’était lancé dans une telle démarche. Selon lui, une entreprise, même si elle est censée dégager un certain chiffre d’affaire pour poursuivre ses activités, peut quand même avoir un programme en RSE.

RSE, pour « responsabilité sociale d’entreprise ». Un terme de bobo branchouille qui signifie: « oui je fais de la thune, mais je me soucie quand même de mes employés et de la planète. » Si la RSE vous intéresse, vous devriez d’ailleurs allez faire un tour sur le blog de Julien Goy, LE spécialiste européen et vaudois en RSE. Et accessoirement aussi membre de la Team Gus&Co.

Autrement dit, oui, oui, on peut faire de l’argent, mais au passage on peut quand même faire attention à son impact environnemental. Christian nous a expliqué que cette idée lui était venue en 2010 à la sortie de son Super Comics. Et depuis, chaque jeu édité suit ce programme.

Le calcul est simple. Un arbre coupé qui a atteint sa maturité peut produire jusqu’à 45kg de papier et de carton. 45kg. Reste à savoir ce que ça représente pour un jeu.

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Prenons l’exemple concret de La Chasse aux Monstres.  Un jeu produit en Chine tout de même. Le jeu contient 20 cartes, 15 tuiles, 1 « placard » (=une pièce en carton dans lequel se cache les monstres), la règle de jeu et la (petite) boîte en carton.

1’000 Chasses aux Monstres représentent 9 arbres. Facile à calculer, puisque le jeu, entièrement fabriqué en carton, pèse 405 grammes. Donc pour produire 1’000 jeux, il aura fallu abattre 9 arbres. Et comme cette toute nouvelle édition 2016 a été tirée à 17’000 exemplaires, pour un premier tirage, bientôt épuisé qui plus est, je vous laisse faire le calcul final.

Un arbre coupé = un arbre planté. Est-ce que c’est l’éditeur lui-même qui va planter un arbre dans son jardin? Pas vraiment. Non, pas tous les Québécois ne vivent dans la taïga avec des caribous comme chums. C’est une entreprise, Arbres Canada, qui s’en occupe, moyennement un chèque au passage.

Chaque arbre replanté coûte 4 dollars canadien = 2.80 euros = 3 CHF. Donc pour le tirage de la Chasse aux Monstres 2016, Le Scorpion Masqué, somme toute un petit éditeur de jeux de société, aura versé 612 CAD = 425 euros = 460 CHF. 425 euros pour compenser l’empreinte écologique du premier tirage du jeu.

Selon les estimations de l’éditeur, d’ici à la fin de cette année, le Scorpion Masqué aura fait planter 2’000 arbres en tout pour compenser les 90 tonnes de papier et de carton utilisés pour produire ses jeux depuis 2010. 2’000 arbres.

C’est beaucoup.

C’est peu.

Sur une note plus dramatique, c’est quand même bien peu au vu de la consommation mondiale. Selon l’UNEP, 2’000 arbres sont coupés chaque minute dans le monde.

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Un arbre coupé = un arbre planté. Du Greenwashing?

L’éditeur se défend de jouer ce programme comme argument marketing, c’est surtout une démarche personnelle. Il le fait également pour inciter d’autres à faire pareil. Et peut-être aussi pour sensibiliser le consommateur sur le produit.

*parce que le téléphone et l’email sont bien trop voraces en électricité.

Êtes-vous sensible à cette démarche? L’éditeur québécois est prêt à rogner sur son bénéfice. Mais vous, seriez-vous prêt à payer plus pour des jeux plus écolo?

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15 Comments

  • laurent

    Il me semble d’en Europe cette démarche est là et de toute manière automatique depuis fort longtemps. Les arbres servant à faire de la pâte à papier sont plantés pour faire de la pâte à papier et sont donc remplacés. Il faut voir ça comme des champs d’arbre dont la destination est « faire du papier ».
    Je frémis de penser que les canadiens aient pu longtemps couper des arbres sans les remplacer, juste pour les broyer et ensuite aller plus loin couper d’autres arbres dans des forêts toujours plus loin des usines à pâte à papier.
    En fait je n’y crois pas trop.

    • Guillaume Jay

      Laurent : alors, les canadiens vivent dans un contexte naturel très différent du notre. Le Canada, c’est grand comme 15 fois la France, et y a deux fois moins d’habitants.. Donc, les coupes rases sans replantage, c’est tout a fait plausible.
      (évoqué « Et dans le parc d’la Vérendrye Ils continuent à tout raser » : https://www.youtube.com/watch?v=cHMe_JHvedE )
      Dans l’idée : la chasse a l’ours, en saison, est légale au Canada. Mais ils ont une population d’ours noir estimée a plus de 400 000…
      Les mentalités commencent à peine à changer, (autre chiffre étonnant : 90% des chats sont dégriffés)

      Sinon, pour revenir au sujet, bah, c’est mieux que rien. Et sur « seriez-vous prêt à payer plus pour des jeux plus écolo? », la on parle donc de 0.025 centimes non par boite du jeu ? Ca me va comme surtaxe 🙂

      • laurent

        Tout à fait, le canada n’est pas l’europe, mais sauf que voilà je vois depuis pas mal d’années la politique canadienne avec un replantage systématique, même pour des coupes de bois pour la construction. Alors je m’étonne, vu de loin. Mais il est bien évident que mon opinion et mon étonnement initial n’ont aucune valeur de vérité sur le sujet.

  • Christian - Scorpion Masqué

    Laurent, je vous invite à visionner le documentaire « L’erreur boréale » et vous me direz ensuite si les Québécois sont toujours aussi gentils que vous l’imaginez… On a simplement rasé les forêts ici. Durant des décennies, voire plus d’un siècle, sans rien replanter.

    • E. Alvarez

      Faux. Si c’était vrai de toute façon, il n’y aurait plus de forêts au Québec. Le fait est que malgré les feux, les épidémies d’insectes… et les coupes forestières, la forêt se régénère naturellement. Selon les chiffres du Bureau du Forestier en Chef du Québec, c’est environ 80% de la forêt qui est déjà régénérée au moment où l’on coupe. Pour le 20% restant, on reboise. Et historiquement, comme les travaux se faisaient beaucoup en hiver et avec des chevaux, la régénération était protégée. Quand aux coupes montrées dans L’Erreur boréale, on pouvait voir que la récolte avait été bien faire pour protéger la régénération. Des images prises quelques années plus tard montrent bien que la forêt est en très bonne voie de former une nouvelle forêt mature.

      Concernant le sujet principal de l’article, je précise qu’au Québec, ça fait longtemps que l’on ne coupe plus d’arbres pour spécifiquement faire du papier. Les usines de pâte et papiers se servent de copeaux qui sont dans les faits des résidus des usines de sciage. C’est grâce à ces dernières que l’on construit nos maisons, que l’on fait des meubles…. En bref, on fait du papier avec… des déchets. Cela permet une utilisation plus optimale de l’arbre coupé.

      • Gus

        Merci pour les précisions!

        Pour recentrer le débat, la démarche du Scorpion Masqué est avant tout idéologique et globale. Car les arbres coupés pour la fabrication de ses jeux ne le sont pas au Québec mais ailleurs. En Chine ou en Afrique.

        A l’échelle planétaire, un arbre planté au Canada a pour but de compenser.

        Mais pourrait bientôt espérer plus de jeux FSC?

        • E. Alvarez

          De fait, je réagissais pour beaucoup à la « publicité » que peut nous faire L’Erreur boréale… 😉

          Plus de jeux FSC? Je vais résumer beaucoup, car la certification forestière est un très gros dossier, mais un des problèmes du FSC et des autres certifications pourrions-nous dire, c’est qu’elles sont surtout présentes là où on en le moins besoin. Par exemple, jusqu’à tout récemment l’essentiel des forêts publiques sous aménagement au Québec (environ 27 millions d’hectares) étaient certifiés FSC. Ce qui soit-dit en passant, n’empêche pas du tout les coupes que l’on peut voir dans L’Erreur boréale. Le Canada est la juridiction avec le plus de superficies certifiées au monde. Pourtant, c’est aussi un endroit où il y a de sérieuses réglementations gouvernementales encadrant les opérations forestières. Et pour donner un exemple au Québec, cela fait une quinzaine d’années que les phytocides sont interdits, soit zéro produits chimiques dans nos forêts.

          Par contre, la certification FSC (et autres) est peu présente dans les lieux où on retrouve beaucoup de déforestation, soit le fait de transformer une forêt en une autre fonction, par exemple un champ agricole. C’est là tout le problème. Au Québec, on transforme les forêts… en forêts. Vous pouvez acheter un jeu qui aurait été fabriqué à partir des forêts québécoise les yeux fermés, même s’il n’est pas certifié FSC.

          Le problème, de ce que je comprends pour le monde des jeux de société, c’est que pour des questions de coûts les jeux sont fabriqués dans des pays où l’encadrement et les règles entourant la foresterie ne sont pas « top ». Disons qu’ici on entre dans un problème d’économie mondialisée qui déborde le sujet du jour…;)

          Pour la petite note, le FSC a récemment beaucoup perdu de terrain au Québec, car il a franchi une ligne qu’il n’aurait pas dû franchir: vouloir se substituer au gouvernement dans l’aménagement des forêts publiques. Mais c’est là aussi un autre gros dossier…

  • Florent

    Ben c’est souvent et facilement le cas en France, c’est en partie, bien que ce ne soit pas toujours des plus satisfaisants, l’objet des labels FSC, et dans une moindre mesure PEFC. Ça permet que les forêts d’où provient le bois servant de matière première à la fabrication du papier et du cartonnage soit gérées durablement, donc replantées au fur et à mesure… Sans panser les dégâts par derrière via une association… C’est par exemple ainsi pour tous nos jeux (Opla), qui eux sont fabriquées 100% en France et donc n’infligent qu’un impact environnemental modéré puisque pas de transports abusifs, par tankers notamment, qui représentent eux une véritable calamité écologique, bien plus que nos bagnoles…
    Mais tout ceci est tellement compliqué… On avait rapidement commencé d’écrire un truc à ce sujet (http://www.jeux-opla.fr/archives/921), il nous faudra le détailler un peu à l’avenir…

  • thegoodthebadandthemeeple

    Je connaissais cette jolie initiative, mais les commentaires sont tres intéressants et avoir l’avis des éditeurs sur le sujet serait un vrai plus. Merci a Opla.

  • Paul

    Comme l’a dit Guillaume Jay, « c’est toujours mieux que rien ». Mais si on voulait pousser la démarche, on penserait aux encres, colles et vernis utilisés dans la fabrication (écolos ou non ?), ainsi que (plus largement) les conditions sociales des travailleurs dans les unités de production. Ce n’est pas Foxconn, c’est sûr, mais ça reste la Chine. Bref, vaste débat, et on part de loin, il faut le dire !
    PS. J’en profite pour remercier Gus. J’ai découvert ce site depuis le début d’année et j’avoue avoir grand plaisir à lire chacun des articles présentés, que ce soit les critiques de jeux, les réflexions plus ou moins légères…Tout en faisant preuve de bien plus d’indépendance qu’un très grand site français que je ne consulte pratiquement plus. Gus et BGG, c’est la vie !

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