Jeux de plateau

Quand je serai grand, je serai éditeur

Sébastien D. à gauche, Cédric L à droite
Sébastien D. à gauche, Cédric L. à droite

Quand je serai grand, je serai éditeur.

Qu’est-ce qui pousse un joueur à vouloir éditer des jeux? Par où, par quoi ça commence? Mathieu Henry a interviewé deux éditeurs français, Sébastien Dujardin de Pearl Games, et Cédric Lefebvre de Ludonaute. Deux éditeurs aux jeux forts. Cet article fait écho à l’obsolescence programmée des jeux de société.

Quel joueur ne s’est pas dit, un jour, que de travailler dans le milieu de l’édition ludique devait être une expérience plaisante ?

Il est difficile de trouver des chiffres fiables tant le fort développement des jeux de société en France est encore un phénomène récent. Il semble tout de même assez fréquent qu’un joueur qui a été exposé à des dizaines de jeux différents, développe petit à petit sa conscience ludique, augmente ses connaissances des mécaniques de jeu et qu’un beau jour, au milieu d’une partie, il lance à ses amis: “J’ai une idée de jeu !”.

Si le joueur lambda s’imagine dépasser ce statut de consommateur de jeux pour devenir acteur dans ce milieu, c’est donc, souvent, avec le costume d’auteur qu’il se voit. Mais qu’est-ce qui amène alors certains à créer leur société d’édition ? Cédric Lefebvre et Sébastien Dujardin ont accepté de répondre à cette question.

L’un comme l’autre, ils ont commencé par être joueurs, puis sont devenus auteurs. En 2010, Anne-Cécile et Cédric Lefebvre éditaient Offrandes par le biais de leur toute nouvelle maison d’édition Ludonaute. Cédric, auteur du jeu, déclare : “C’était vraiment une expérience que l’on a tentée pour se faire plaisir, et cela nous a tellement plu que l’on a décidé de continuer l’aventure en essayant de se professionnaliser un petit peu pour la rendre viable et durable.

C’est à peu près à la même époque, que Sébastien Dujardin, l’un des coauteurs de Troyes, décide également de se lancer dans l’aventure de l’édition en créant la société Pearl Games. Sébastien confie : “J’avais le temps de le faire. C’est une question de circonstance… Du coup, nous n’avons absolument pas contacté d’autres éditeurs pour savoir si le jeu les intéresserait. L’idée était juste de tenter une aventure éditoriale entre deux vrais boulots, pour peut-être continuer en activité complémentaire.”

De ces deux témoignages proches ressort l’envie première de tenter une aventure, d’accompagner son projet et de se faire plaisir…

Avec des titres comme Troyes, Bruxelles 1893, Lewis & Clark ou encore Colt Express, ces deux sociétés ont édité quelques-uns des gros succès de ces dernières années. Elles ont aujourd’hui un rayonnement important auprès de la communauté de joueurs et sont deux beaux exemples de réussite dans le secteur de l’édition ludique. Sachant qu’au départ, elles sont toutes deux nées de valeurs simples comme l’envie, la passion et le plaisir, il n’en faut certainement pas plus pour donner des idées à d’autres qui souhaiteraient franchir le pas.

Dans tout projet de création d’entreprise, il y a évidemment un aspect purement administratif et comptable. L’une des premières décisions à prendre est le choix du statut juridique de la société. Les options sont multiples et chaque cas étant différent, il est difficile d’apporter des réponses toutes faites à cette question du statut. Les fonds dont le futur éditeur dispose, le régime fiscal qu’il préfère ou la façon dont il voit évoluer son entreprise, sont quelques-uns des points qui pourront lui permettre de choisir le statut le mieux adapté à sa situation.

Pour un porteur de projet français, le site de l’Agence Pour la Création d’Entreprise est un outil complet et d’une grande qualité. Ce site, créé par les pouvoirs publics, regorge d’articles et de ressources permettant de comprendre les différentes étapes nécessaires pour créer une société. De plus, une base de données répertorie, pour chaque département, les organismes susceptibles d’aider et de conseiller le futur entrepreneur. Le nom et le logo de la future société méritent également un travail préalable afin que l’appellation et l’identité visuelle de la structure soit en accord avec l’activité, les produits et les valeurs de la société.

Même si la démarche administrative de la création d’entreprise marque concrètement le début de l’aventure entrepreneuriale, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une coquille vide qu’il va falloir animer.

Pour Cédric Lefebvre, aucun doute, il faut “faire ce métier par passion. Il faut pouvoir se permettre que ça ne soit pas tout de suite rentable, accepter d’écouter les autres et ne pas être pressé. Il faut faire des jeux qui n’existent pas en apportant sa patte.”

Si vous souhaitez créer votre structure d’édition, il semble primordial de se poser, en amont, ces questions : Quelle est ma patte ? Qu’ai-je à amener par rapport à la concurrence ? Dans ce milieu en forte croissance, il est important d’analyser le développement du secteur, l’approche des éditeurs déjà en place et d’imaginer ce qui va faire que votre jeu va se démarquer des centaines de jeux qui sortent chaque année et qui tombent très vite dans l’oubli.

Pour Sébastien Dujardin, “le monde du jeu de société se professionnalise énormément ces dernières années. Les joueurs deviennent de ce fait de plus en plus exigeants. Si un jeune éditeur souhaite en faire son métier, tout doit être au top dans un jeu, de la mécanique aux illustrations, de la communication au réseau de distribution.”

Il faut être conscient de ses faiblesses afin de s’entourer au mieux, afin de parvenir à s’imposer. Il ne faut pas oublier que l’équilibrage et le développement des mécanismes, c’est aussi un métier qui demande du temps et des compétences. La passion ne suffit pas! Rares sont les jeux finalisés par leur auteur, qui n’a pas le recul nécessaire pour faire le travail jusqu’au bout. Le travail éditorial est nécessaire à ce niveau-là aussi. Éditer n’est pas juste illustrer et vendre. Même si les projets participatifs peuvent laisser croire que le design et la communication suffisent.”

On entend et lit souvent que le secteur ludique, en France, est encore assez jeune et que les différents intervenants évoluent dans une certaine bonne entente générale. Alors qu’ils sont, manifestement, tous concurrents, la plupart des éditeurs français sont attentifs au développement de leur secteur d’activité et essayent d’en prendre soin. Ils se connaissent, se respectent, communiquent et sont encore, pour la plupart, des joueurs passionnés.

Si l’envie de créer votre maison d’édition vous titille et que vous avez entre vos mains le prototype du “meilleur jeu du monde”, prenez le temps de bien faire les choses, mûrissez votre projet et essayez de vous entourer des bonnes personnes. Il est encore possible, sur des salons, lors de festivals, de se poser et de discuter avec des éditeurs expérimentés qui ont envie d’expliquer leur travail, partager leur passion et qui ne sont pas avares en bons conseils. Sébastien Dujardin et Cédric Lefebvre en sont de parfaits exemples. Merci à eux !

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6 Comments

  • Femto

    « On entend et lit souvent que le secteur ludique, en France, est encore assez jeune et que les différents intervenants évoluent dans une certaine bonne entente générale »

    C’est facile de s’entendre quand Asmodee passe dans le coin avec quelques billets 😀

    #MauvaiseFoi

  • charrassier

    bonjour
    je suis devenu auteur de jeux de société par constat vieux de 20 ans, à savoir l’absence chronique de renouvellement de concepts jeux des éditeurs internationaux s’agissant bien de la catégorie dite
    « grands classiques incontournables ». J’ai réussi ce qui apparemment était infaisable avec une ligne de nouveaux produits orientés grands classiques en devenir institutionnels.
    lorsque l’on fait un plan de trésorerie « PRO » pour savoir comment mettre sur le marché national ses produits, la seule solution valable est de devenir éditeur tout simplement pour maîtriser le business dans son intégralité et en tirer les profits. Le » crowdfunding étant la formule ad hoc pour faciliter le démarrage.
    Proposer ses jeux à des éditeurs c’est perdre son âme dont on ignore ce qu’il advient’ des produits par la suite et surtout c’est perdre quasiment ses droits d’auteurs (payé quelques centimes sur des quantités invérifiables surtout si les produits ont une carrière internationale)

    Devenir éditeur est un métier avec déjà une très bonne connaissance de l’économie de marché pour entreprendre un business d’une part, et savoir trouver des jeux à promesse de longue carrière commerciale sans devoir passer par des distributeurs qui paient à 90 jours.
    Désormais la vente B2C est l’avenir via site marchand à paiement comptant, si en plus les produits ont des appli multiples sur Mobile, Tablette , Jeux enligne , c’est le top. C’est mon cas.

    • mathieu henry

      Merci Charrassier pour cet ajout constructif. Il est vrai que le fort développement des campagnes de financement participatif donne un moyen supplémentaire aux éditeurs en herbe, de tester leur produit et de voir si l’aventure est possible pour eux…. Cependant, comme la très bien dit Sébastien Dujardin, la campagne se doit d’être très bien ficelée, le jeu de qualité et tous les aspects de développement et édition doivent être maitrisés.

      Les quelques campagnes qui ont engrengé plus d’un million de dollars sont dans l’esprit des gens et peuvent donner envie. Ils ne faut pas oublier les centaines de jeux qui n’obtiennent pas le financement souhaité, quelque fois, même si le jeu semble très bon.

      Enfin, j’ai été étonné de découvrir, il y a quelques années, le peu d’auteurs qui peuvent vivre de ce métier. Donc, effectivement, comme je le dis, l’entrée dans le monde professionel ludique peut s’imaginer avec la casquette d’auteur, mais pour en vivre, il me semble prudent d’essayer d’ajouter d’autres casquettes… 🙂

  • patrikcarpentier

    Vivre de la création d’un jeu est assez utopique dans 98% des cas. La plupart des grands auteurs conserve un métier à côté. Etre éditeur, c’est déjà un peu plus rentable, bien que ce soit un chemin de croix pour tenter d’exister entre les GROS éditeur qui accaparent le marché.
    Auteur-Editeur me semble la meilleure solution pour tenter de faire paraître son jeu, mais il faut avoir la foi, le goût du risque et le faire quasiment pour la beauté du geste et non pas pour la satisfaction de son banquier…

    • charrassier

      presque 100% des auteurs de jeux de société ne sont pas des commerciaux d’une part, et avant de se lancer dans un concept jeu fut il en OR, il faut faire une étude de marché préalable, c’est élémentaire. Cela permet de révéler si il y a une demande collective clientèle de masse,
      Tout le reste demeure putatif
      Cordialement

      • patrikcarpentier

        C’est vrai qu’un auteur n’est pas forcément un commercial. Mais les divers exemples que je connais sont souvent des associations entre un créatif et un commercial. Commercial qui s’investit et investit car il pense que c’est « jouable » dans les 2 sens du terme.

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