Jeux de plateau

Oui, l’obsolescence programmée touche aussi les jeux de société 

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Dans la peau de

Mettez-vous juste deux minutes dans la peau d’un jeune entrepreneur.

Vous avez rencontré un ami qui vous a présenté une idée pour un jeu frais, solide. Vous vous dites que son idée est excellente. Vous voulez lancer son jeu.

Vous investissez alors une pièce de votre appartement pour en faire votre bureau. C’est de là que vous gérerez tout. Graphismes. Tests. Développement. Com. Contact avec la production.

Quelques mois plus tard, le jeu sort. C’est un beau succès. L’accueil est plutôt positif. Le jeu se vend bien. Vous parvenez même à engranger quelques maigres bénéfices. L’aventure vous a plu. Vous avez envie de continuer.

Un autre auteur vous contacte. Il a conçu un jeu riche et original. Vous allez l’éditer. Mais pour gérer la production et la commercialisation du premier et du deuxième, il vous faut à présent engager quelqu’un. Vous ne parvenez plus à tout faire tout seul. Son salaire sera faible, c’est tout ce que vous pouvez vous permettre pour l’instant. Vous travaillerez tous les deux dans votre bureau depuis votre appartement.

Quelques mois plus tard, vous sortez votre deuxième jeu. C’est un beau succès. L’accueil est plutôt positif. Le jeu se vend bien. Entre les ventes du premier et du deuxième, vos bénéfices augmentent. Vous avez envie de continuer. Mais vous vous rendez compte qu’il vous faut un nouvel employé. Ou plusieurs. Quelqu’un pour gérer la com. Quelqu’un pour gérer le SAV. Quelqu’un pour gérer la logistique. Quelqu’un pour gérer les nouveaux projets.

De plus, votre bureau depuis votre appartement ne vous suffit plus. Il vous faut des locaux pour accueillir tous vos nouveaux employés. Ainsi qu’un petit local pour entreposer vos jeux.

Entre les salaires et les locations, petit à petit, vos frais fixes augmentent. En même temps que votre chiffre d’affaire et vos bénéfices.

Deux solutions s’offrent alors à présent à vous. Tout arrêter, voire réduire la voilure pour limiter les dépenses, ou continuer à sortir d’autres jeux. Vous choisissez évidemment la seconde option. Car vous aimez ce que vous faites. Sortir des jeux. Faire plaisir aux joueurs. Et offrir un emploi à vos salariés.

Les mois, les années passent. Vos jeux se vendent plus ou moins bien. Votre structure gonfle. Vos dépenses également.

Tant que vous êtes dans les chiffres noirs et pas rouges, tout va bien. Pour payer tous vos employés, vos locations, la production, le budget com, les déplacements sur les salons, il vous faut sortir des jeux, vendre, dégager du chiffre.

Vous aviez commencé tout seul, vous vous retrouvez aujourd’hui à cinq, dix, vingt, cent employés.

Pour rembourser toutes vos dépenses et espérer dégager un certain bénéfice, vous n’avez plus le choix, il vous faut des jeux qui se vendent bien. Et beaucoup. Beaucoup de jeux. Plus vous vendez, plus vous capitalisez. Sortir un seul jeu par année ne suffit plus pour couvrir les frais de gestion de votre entreprise.

Vous vous trouvez alors dans une situation financière fragile. Vicieuse. Peut-être insensée?

D’autant que la tendance se renforce autour de vous. De nouveaux éditeurs débarquent, tandis que d’autres grandissent. La situation se tend. Le marché devient de plus en plus concurrentiel. Il vous faut tout miser sur des titres forts, nombreux, différents, porteurs. Soigner votre image de marque que vous avez réussi à bâtir jeu après jeu.

Et pendant ce temps, le nombre de jeux jetés sur le marché ne cesse de grimper.

Vos clients dépensent de plus en plus, tout en jouant de moins en moins. Les nouveautés en chassent d’autres. C’est l’effet « tapis-roulant ».

Le client veut du neuf. Tout le temps. La dopamine le pousse à se jeter sur la nouveauté. L’euphorie des sorties diminue la durée de vie d’un jeu. A peine un jeu est-il sorti que le client guette déjà l’annonce du prochain.

Le client peut se sentir alors frustré. De ne pas avoir. De ne pas savoir quoi acheter.

Mais jusqu’à quand peut-on continuer ainsi?

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L’obsolescence programmée, tout le monde connaît. Les constructeurs s’arrangent pour que leur produit ne soit plus fonctionnel après quelque temps. Pour que le client soit alors obligé de repasser à la caisse. Elle vient d’ailleurs d’être interdite par la France en juillet 2015.

Et si le marché du jeu de société ne fonctionnait pas de la même manière?

Oui, un jeu acheté en 2015 pourra toujours être joué en 2020. En 2030. En 2100, même. Le jeu ne va pas débloquer, ralentir, se dégrader (quoique?). Mais le jeu va vieillir. Pas physiquement, pas réellement, c’est son image qui va prendre un coup de vieux. L’attachement, l’intérêt qu’on y porte. C’est la tendance actuelle des jeux « kleenex ». Un jeu joué qu’une ou deux fois. Et on passe à autre chose.

Un jeu neuf aura toujours plus de charme qu’un jeu sorti il y a une année ou deux. Hormis les « grands classiques », quels sont les jeux de 2013, voire pire, de 2012, qui sont encore sortis et joués? Le jeunisme touche toutes les formes de loisirs.

La pluie constante de jeux neufs pour faire vivre les maisons d’édition diminue le temps de jeu. A peine un jeu acheté qu’il devient obsolète. D’autres guettent. Le marché engendre un certain déséquilibre pernicieux chez le consommateur, déséquilibre qu’il veut tenter de rétablir. C’est sorti. C’est neuf. Je n’ai pas. Je devrais avoir.

Solutions

Quelles solutions trouver? Questionner-jouer-ranger.

1ère solution: questionner

Commencer par essayer d’acheter moins. Et d’acheter mieux. Des jeux qui vont plaire. Et plaire longtemps. Avant d’acheter votre prochain jeu, répondez à ces trois questions:

1. Avec qui?

Avec qui pourrais-je y jouer? Parmi mes amis et connaissances, qui pourrait être intéressé par ce jeu? Si la réponse est négative ou peu concluante, inutile de procéder à l’achat. Le jeu aura très peu de probabilité de sortir.

2. Budget?

Combien est-ce que ce jeu coûte? N’est-il pas trop cher? Est-ce que je peux me le permettre? Ne vaut-il pas mieux mettre cet argent ailleurs? Dans des vacances, des restos, des cadeaux pour la famille?

3. Copie?

Qu’est-ce que ce jeu apporte de neuf à ma collection déjà existante? Va-t-il remplacer un autre titre? Ressemble-t-il beaucoup à un autre jeu?

Évidemment, ces trois questions poussent à un raisonnement meta. Pourquoi ai-je envie, « besoin » de m’acheter ce jeu? Qu’est-ce qui me pousse à la faire?

2e solution : jouer

Jouer plus souvent. Passer plus de temps à jouer qu’à surveiller les annonces des prochaines sorties.

Alors oui, ça peut paraître tout bête et évident, mais avez-vous déjà calculé le temps passé à jouer par rapport à celui passé à vous tenir informé des prochaines sorties, à lire des critiques?

3e solution : ranger

Ranger sa ludothèque. Et quand je dis ranger, je pense à se débarrasser des jeux « inutiles ». Un jeu est fait pour être joué. Pas pour être stocké.

Débarrassez-vous des jeux qui prennent la poussière et qui pèsent sur vos étagères. Parce qu’ils ne sortiront plus. Offrez ces jeux à vos amis, à des ludothèques, à des associations. Vous ferez des heureux. A commencer par vous-même.

Une ludothèque allégée vous rendra comblé. Car vous ne garderez que les titres forts, ceux qui vous accompagneront ces prochaines années. Ceux qui vous réjouiront.

Amasser, collecter, stocker ne fait que charger vos étagères. Et votre vie.

J’ai rencontré des joueurs malheureux car ils n’avaient plus de place pour ranger leurs nouveaux jeux. Situation absurde.

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L’acquisition d’un jeu devrait rendre heureux, pas le contraire. Et des kilos de jeux empilés sont des kilos de jeux à déménager. À stocker. Kilos qui augmentent, qui augmentent, années après années.

Se débarrasser pour mieux garder.

Au contraire des appareils électroniques, dont la production pour certains est véritablement orientée pour ne durer que peu de temps, pour pousser au remplacement et à la consommation, les jeux de société ne suivent pas du tout la même trajectoire. Mais si.

Ce n’est pas le jeu en soi qui devient obsolète, c’est l’intérêt qu’on lui porte qui le pousse à le devenir.

La prochaine fois que vous achetez un jeu, demandez-vous pourquoi vous le faites. Est-ce que vous avez beaucoup joué à ceux que vous possédez déjà?

Cet article suit la tendance actuelle du Slow-Gaming. Si ce sujet vous intéresse et que vous voulez en savoir plus, d’autres articles pourraient vous plaire.

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15 Comments

  • Toftof

    L’obsolescence programmée (un produit qui se fait remplacer par son successeur), je la sens dans les éditions successives d’un jeu, parfois bien rapprochées :
    – « Golden ages » (2014) puis « Golden ages 2nd edition » (2015) (mon meilleur exemple),
    – « China » (2005) puis « Han » (2014) (oui bon ok, 9 ans) (sans parler de « Kardinal & König » en 2000) (on parlera sûrement ici de rançon du succès)
    – « Evolution the origin of species » (2010) puis « Evolution random mutations » (2013) et finalement « Evolution » (2014) (ça c’est la cerise sur le pompon).

    Et je ne connais certainement pas tous les cas.

      • Mister J.

        Vrai pour Fief ^^. Bon moi (inculte que je suis) je l’ai découvert lors de sa dernière édition, donc je n’ai pas ressenti l’obsolescence… mais abusé pour ceux qui l’on acheté deux ans plus tôt, c’est sûr 😉 .

      • PatriceJPS

        Article très intéressant qui donne à réfléchir.

        C’est rigolo ce terme de « slow gaming ». Je connais 1 ou 2 joueurs qui le pratiquent depuis quelques années. Ils jouent tellement lentement qu’avec un seul jeu ils peuvent tenir une soirée complète …

    • limp

      Pour China, pour moi c’est autre chose : comme il faut encore et toujours plus de jeux, auteurs et éditeurs ne parviennent plus à suivre le rythme. De fait, :les auteurs font des jeux qui ressemblent à leurs précédents ouvrages et les éditeurs ressortent des classiques (ou font de plus en plus de VF de jeux étrangers…).

  • patrikcarpentier

    Pour le manque d’étagères, il suffit d’en acheter d’autres 😀
    Quant au manque de place, c’est une vue de l’esprit : une chambre tapissée de jeux de société, c’est beau ; idem pour un salon 😉
    Nous sommes dans une société de consommation, donc on cherche à nous faire consommer.
    Bcp de bons jeux sont souvent introuvables dans les magasins, je bénis Internet dans pareil cas.

  • Mister J.

    Bien vu, cet article ^^ !

    C’est marrant car je ne me suis pas rendu compte de cette obsolescence programmée et je me contrefiche de la manière qu’ont les autres de gérer leurs ludothèques, mais j’applique depuis quelques temps déjà les 3 solutions énoncées ici.

    Et pourtant je suis ce que l’on pourrait définir comme étant un GROS joueur. En effet je joue beaucoup, je teste pas mal de titres et de nouveautés, je fais quelques salons, et je suis membre du bureau d’une asso d’animateurs de JdS, ce qui me prend beaucoup, beaucoup de temps. Et qui dit membre du bureau d’une asso, de jeu, dit forcément contact avec des boutiques, bar à jeux, ludothèques, organisateurs de salons, éditeurs, éditeurs et auteurs… Bref, je suis dedans jusqu’au cou !!!

    Et pourtant ma ludothèque n’est supportée que par une seule grande étagère qui est loin d’être pleine (environ 45 jeux, extensions comprises).

    Et sans avoir conscience de cette obsolescence programmée, j’applique les 3 réponses à celle-ci, juste parce que ça me semble évident ^^.

    1) Questionner : je le fais naturellement, mais c’est peut-être le point sur lequel je suis le plus fragile car il m’arrive parfois (mais de moins en moins souvent) d’être attiré par un nouveau titre que je n’arrive pas à sortir.

    2) Jouer : je joue et j’anime carrément plus que j’ne lis de tests. Je suis quand même l’actu, mais ça ne me prend que peu de temps en comparaison ;).

    3) Ranger : alors ça, je sais très bien faire, et surtout donner des titres que finalement je ne joue plus ou peu. Mon raisonnement est le suivant : quand je reçoit des invités, si tel ou tel jeu me tente plus que tel autre que je ne sors quasiment jamais, c’est qu’il n’est plus tout à fait à mon goût, et qu’il est temps que j’en fasse bénéficier une asso, un bar à jeu ou des amis à qui il plairait.

    Voilà, c’est tout simple. En tous cas, excellent article comme d’hab 😉 !! A++

  • thegoodthebadandthemeeple

    Sujet récurrent chez Gus. Pour moi tournant amorcé depuis longtemps.
    D’ailleurs je n’ai pas beaucoup acheté à Essen, à peine 6 boites.

    je joue tous les jeux de ma ludo une fois par an mini sinon je vends/donne. Je n’achète plus de jeu sans l’avoir testé avant dans 90% des cas.

    Bref, beaucoup de nouveautés, mais pas beaucoup d’innovations en général…

  • morlockbob

    en effet bcp de jeux et peu d innovations. test test test (en club/ au magasin) au maximum, lire les avis, se renseigner, ne pas se laisser aveugler par les lumières… savoir attendre. Et quand un jeu revient souvent dans tes pensées…c’est que celui là ta vraiment plu…

  • Red eagle

    Le problème pour moi c’est surtout que je joue moins en ce moment. J’ai pourtant de grands classiques mais je devrais selon vous m’en débarasser ? Pourquoi ? Si je devais virer tous les jeux inutiles, alors je n’en garderai qu »un seul : Ticket to Ride. C’est le seul jeu auquel je joue régulièrement.

    Néanmoins, je pense que j’arrive à un plateau au niveau de ma ludothèque. J’adopte donc progressivement le slow gaming : j’achète moins (cette année j’aurai surtout acheté via KS ou Ulule) ou je décale mes achats. Cela permet à mon budget de respirer un peu. J’essaie aussi de faire de la place en vendant quelques jeux. In fine je pense que je finirai par arrêter d’acheter des jeux et profiterai de ma ludothèque déjà bien fournie.

    Jouer plus : j’essaie mais cette année j’aurai du mal.

    Quand à parler d’obsolescence programmée, n’exagérons pas. Cela est vrai pour les jeux faisant l’objet de rééditions améliorées. Ce n’est pas parce qu’on ne parle plus d’un jeu depuis 6 mois qu’il est foutu. Certes je pense qu’il faut jouer plus d’une partie, en particulier pour les jeux de type kubenbois; mais jouer tout le temps au même jeu finit par lasser. Votre article parle d’un certain nombre d’exemplaires à conserver, mais cela dépend des goûts de chacun d’entre nous. Si vous jouez avec plusieurs types de public comme moi, vous êtes obligé d’avoir un minimum de jeux dans chaque catégorie. Et cela peut donc vite faire gonfler la ludothèque.

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