Tendance : est-ce que la Gencon change la donne?
Soyons honnêtes: le Festival International de Cannes 2014 fut une déception. Pas en terme de rencontres, le public comme les éditeurs et auteurs furent extrêmement sympathiques, ni en terme d’organisation, tout s’est très bien déroulé, mais en terme de sorties de jeux.
En effet, les grandes nouveautés ludiques sorties juste pour l’occasion étaient plutôt rares, la grande majorité des éditeurs se contentant de présenter leurs prochaines sorties 2014 : Space Cowboys avec Black Fleet, Bombyx avec Abyss, Deus et l’Auberge Rouge chez Pearl Games, Lords of Xidit et Loony Quest chez Libellud, Witness, Concordia et Drake chez Ystari, et j’en passe.
Le FIJ fut plutôt une vitrine des jeux à venir. Et à chaque fois que je demandais aux éditeurs la date de sortie, la réponse la plus fréquente fut : fin août / début septembre en Europe, avec une sortie en avant-première pour la GenCon. Depuis 2-3 ans, la GenCon est devenue un événement majeur dans le calendrier ludique, tendance qui va clairement se renforcer en 2014 et ces prochaines années.
La GenCon, établie à Indianapolis depuis 2005, existe depuis 1968 (!). Elle a été créée par feu-Gary Gigax, le papa du cultissime jeu de rôle Donjons&Dragons.
Chaque été, fin juillet ou mi-août, pendant 4 jours, ce sont des dizaines de milliers de visiteurs / joueurs, près de 50’000 en 2013, qui viennent pour acheter, mais pas que. Sur 5 halles, une seule est réservée aux stands des éditeurs, les autres le sont uniquement pour le jeu: multiples tournois, parties d’initiation, etc.
La GenCon est la plus grosse convention en Amérique du Nord et correspond plus ou moins à notre Essen européen à nous. Presque. Car si Essen fait la part belle aux achats, soyons clairs, il est toujours extrêmement difficile de jouer sur le salon.
Bref, en 2-3 ans, la GenCon d’Indianapolis est devenu le nouveau rendez-vous impératif des éditeurs francophones. Et au vu du peu de sorties à Cannes cette année, je pourrais même affirmer que la méga-convention américaine a supplanté l’événement de la Croisette. Il est certes toujours nécessaire pour les éditeurs et auteurs d’être présent au FIJ de Cannes, rien que pour se faire voir, mais la GenCon est le nouvel Eldorado des éditeurs francophones. Pourquoi?
Est-ce que le marché européen stagne et que le marché américain représente un nouvelle plateforme intéressante? Il y a certainement un peu de cela. Tout nouveau marché est bon à prendre, surtout qu’en terme de chiffres, les US sont quand même le troisième pays le plus peuplé au monde, et en y rajoutant le Canada, anglophone et francophone, le bassin de population devient juste immense. D’autant que le marché du jeu en Europe est un marché de niche concentré sur les rares boutiques spé. Tandis qu’aux US, le marché est beaucoup plus établi avec un e-commerce très présent et logique avec le vaste territoire américain. Soyons clairs, il est toutefois encore très difficile d’obtenir la grande majorité des titres ludiques européens dû à une difficile distrib outre-Atlantique. D’où l’intérêt d’être présent à Indianapolis pour améliorer sa présence sur sol américain.
Mais surtout, la GenCon, comme Essen, attire plusieurs centaines de milliers de visiteurs, donc acheteurs potentiels, sans parler de l’engouement médiatique que représente l’événement, une excellente plateforme publicitaire qui génère visibilité et envie des européens, qui devront encore attendre 1d6 semaines avant d’obtenir les nouveautés sur le Vieux Continent.
Cannes, trop rapproché d’Essen? Essen, c’est évidemment l’événement majeur / capital dans le calendrier de tout éditeur. L’année passée, record historique, plus de 800 jeux y furent présentés (Essen en 11 chiffres). Ne pas être présent à Essen avec un nouveau jeu c’est un peu « rater » son année, même si du coup son jeu est perdu dans la masse, et c’est peu dire.
Cannes a lieu fin-février début mars, juste après les fêtes de fin d’année, quand le soufflet d’Essen est retombé. Difficile donc pour les éditeurs de relancer la machine si rapidement après Essen. La GenCon permet donc aux éditeurs de respirer quelques mois pour de nouvelles sorties mi août.
D’autant que mi août n’est pas si loin d’octobre, donc pour les plus petits éditeurs, ou moins « gourmands », le seul jeu présenté à Indianapolis pourra être « recyclé » deux mois plus tard à Essen.
Ce qui fait qu’aujourd’hui, en avril, et depuis plusieurs semaines, les sorties sont plutôt rares, tous les éditeurs préparent la GenCon et / ou Essen, le rush risque d’être hallucinant en septembre-octobre.
Je ne sais pas pour vous, mais personnellement je trouve ce premier semestre très morne en terme de sorties. Essen, et maintenant la GenCon, demande une certaine concentration et préparation des éditeurs pour pouvoir sortir leurs galettes au « bon moment ». Je mets entre guillemets, car si tous les éditeurs de jeux font pareil, je ne suis pas persuadé que le « bon moment » soit véritablement le « bon moment »…
Tous les éditeurs francophones se connaissent, se fréquentent, et, chose inouïe, pour la plupart, s’apprécient. Je me demande si les patrons de Samsung, HTC et Apple vont boire des godets ensemble, jouer au bowling ou passer des vacances de ski. Les éditeurs de jeux, oui, alors qu’ils sont tous concurrents! Dingue.
Depuis 2-3 ans donc, depuis qu’Asmodée US y a une forte délégation, de plus en plus en d’auteurs et éditeurs européens font le déplacement à la GenCon, ce qui motive alors d’autres collègues à faire pareil. Effet boule de neige, malgré la distance, 15h de vol depuis la France, et les coûts.
Un autre facteur rend la GenCon intéressante pour les éditeurs : son public. Au contraire des Européens que nous sommes, les Américains sont encore très peu « blasés » car ils ne sont pas « inondés » par autant de titres que nous. Le marché européen, même si de niche, est extrêmement bien distribué intra-Europe, ce qui n’est clairement pas le cas aux US (relire la chapitre « marché »). Le public est donc moins « gavé », plus ouvert à la découverte, même si bien différent du public européen.
Si les Américains sont connus pour préférer l’Ameritrash, jeux à thème fort et au matériel élaboré, plutôt qu’à des mécaniques ripolinées mais au thème collé, les Eurogames, ce public n’a en fait pas eu tellement la chance de découvrir autre chose, l’Ameristrash étant fortement implanté aux Etats-Unis, logique.
Bon, ne nous reste plus qu’à trouver un éditeur qui veuille bien nous financer le déplacement pour aller couvrir l’événement. Ou attendez, nous pourrions lancer une campagne Kickstarter pour ça, c’est bien la mode, non?
Et Cannes? En ce qui nous concerne, après notre déception de cette année, nous ne pensons plus nous rendre à Cannes, en tout cas pas ces prochaines années. Nous ne trouvons l’événement plus véritablement « nécessaire » en terme de sorties, comme vu dans cet article un shift est clairement en train de s’effectuer au profit des US.
[edit : nous avons effacé toute une partie concernant le FIJ. Suite à un malentendu, un arrangement cordial a pu être trouvé]
Cette année, la GenCon aura lieu du 14 au 17 août 2014.
Et vous, avez-vous prévu de vous rendre prochainement / une fois / jamais à la GenCon?
13 Comments
Ludodida
Se rendre en Amérique juste pour la gen con, ce serait un peu fou…
Ce serait comme se rendre en Allemagne juste pour le festival d’Essen! Clairement nimp… Ah Ben non, en fait… C’est possible 😉
Cédrick Chaboussit
Un point de vue tranché et pertinent, bravo.
Gus
Merci C, et encore bravo pour Lewis !!!
Slimane
Si un Kickstarter est lancé pour couvrir vos frais d’avocat, je pledge direct 🙂
PS: Merci encore pour ces articles de qualité!
morlockbob
j ai eu ma période junkie qui cherche sa dose ludique, qui frétille à l’annonce du jeu de X qui sort dans 3 mois, à la réédition de Y etc….. Mais aujourd hui il y a trop de choses qui sortent tous les jours…on ne peut pas suivre, ça devient un job à plein temps. De tous les jeux testés l an dernier , combien ont fini chez moi..très peu. le buzz c’est écroulé comme un soufflet. Pire qu’une chanteuse r’n’b, on s’échauffe un mois, puis un titre chasse l’autre. Je comprends que les éditeurs fassent la course à la visibilité, c’est leur boulot. Perso, essen, cannes ou Gen con….je m’en bats les cacahuètes, le jeu arrivera (ou pas) dans ma boutique, je louperai une perle, j en découvrirai une autre….et je n’ai pas encore épuisé ce que j ‘ai….. alors non, je n irai pas à la gen con.
ogo
Pareil, ça me fatigue un peu ces histoires de festivals où tout sort en même temps. Ca doit être l’âge 🙂 J’ai ressorti un Tigre & Euphrate et c’est toujours aussi bien.
Laurent Charmasson
J’irai pas à la gencom, 15h d’avion hahaha ! Mais je retournerai avec plaisir à Cannes (2 heures de route) où l’ambiance fut géniale, les auteurs, éditeurs, illustrateurs super abordables et les jeux foisonnants… Quant à la recherche compulsive de nouveautés : chacun son truc !
Gus
Et Essen… 6-12h de route selon où l’on habite…
Laurent Charmasson
Essen non plus (les retours sont peu flatteurs) mais le festival d’Istres, oui ! Petit, sympa, des jeux à gagner, un éditeur local très dispo (le Ludonaute)…
derynnaythas
par curiosité et plutôt pour le jeu de rôles, ça me tenterai bien de découvrir une GenCon, mais il faudrait que je sois en vacance dans la région à la bonne date, et je n’achèterai rien, inutile avec tout ce que l’on a sous la main. Juste pour voir.
Gus
Juste pour voir. Pareil.
Fred la loutre
Pour ma part j’ai fait mon premier cannes cette année, et en tant qu’auteur, c’est là ou tout se passe (signature de contrats, discutions avec editeur…). Donc cannes, j’adopte.
Pour Gen Con, je laisse les editeurs y aller pour faire leur promo. Ce n’est pas forcement la place d’un auteur je pense.
Gus
Merci pour ton commentaire Fred. Et pourtant, de plus en plus d’auteurs francophones font le déplacement, voyage payé par les éditeurs, histoire de faire la promo de leurs jeux. Comme les acteurs, en gros.