Critique de jeu : Ici Londres
Ici Londres (IL) est paru en juin 2013 chez Cocktail Games et créé par Charles Chevalier (Monte Cristo, Gentlemen Cambrioleurs), pour 3 à 6 joueurs dès 8 ans et d’une durée de 20′
IL se déroule dans les heures sombres de la Résistance Française durant la deuxième guerre mondiale quand les expatriés français en Angleterre, notamment de Gaulle, émettaient des messages codés à la BBC pour l’Hexagone occupé par les allemands. Le but était de donner des informations sur les opérations alliées sans que la Wehrmacht ne puisse les comprendre.
Thème original et historique, choix éditorial surprenant (pour ne pas dire provocateur / déplacé) de placer un party-game pendant la deuxième guerre mondiale… Peut-on jouer de tout (en écho, je renvoie à ma critique du jeu Manhattan Project)?
Le jeu tient dans une mini-boîte en métal habituelle chez Cocktail Games, le tout ne comprend que des cartes carrées. Les illustrations sont légères, fines, presque guillerettes, des couleurs pâles reprenant l’époque, sans être poétiques non plus.
Dans IL, un « speaker » doit passer son information aux résistants sans être compris par un joueur incarnant l’allemand.
On place sur la table les 9 cartes de résumé qui présentent toutes les cartes possibles. Le joueur qui incarne le speaker reçoit deux cartes. Il commence alors son tour en annonçant, comme à l’époque, « Ici Londres, les Français parlent aux Français », et le joueur doit ensuite décrire ses deux cartes sans être trop évident pour ne pas être découvert par le joueur qui incarne la Wehrmacht. Les autres joueurs sont les résistants et doivent trouver les cartes.
Une fois les phrases énoncées, tous les joueurs, en commençant par la Wehrmacht, devront pointer du doigt l’image correspondante à l’une des cartes du speaker. Si le choix est juste, on attribue les points, sinon on continue.
Si la Wehrmacht trouve, elle remporte deux points, si un résistant trouve, celui-ci remporte un point et le speaker un également. Une fois les deux cartes trouvées on les remélange avec les autres, le speaker et la Wehrmacht sont alors les prochains joueurs de gauche. La partie s’arrête après un certain nombre de manches.
L’interaction est évidemment forte puisqu’il faut attentivement écouter le message et connaître ses partenaires pour tenter de leur faire passer le message sans être découvert par celui qui incarne la Wehrmacht.
IL est du pur Dixit: il faut se montrer ni trop flagrant ni trop subtil. Certains doivent trouver les bonnes cartes tout en évitant que le premier joueur, la Wehrmacht, y parvienne. IL est extrêmement proche de Dixit Jinx en fait, un Dixit de voyage plus ramassé et moins riche / poétique.
Si Dominion a entraîné derrière lui toute une ribambelle de (quelques fois pâles) copies de deck-building, on sent bien ici avec IL la même mécanique que Dixit, ce qui nous fait cruellement ressentir un manque de créativité et d’originalité. Tout l’intérêt d’IL repose dans la présence de la Wehrmacht et le besoin de coder son message, mais pas trop non plus.
IL propose également 4 types de transmission, de la plus simple, chacun son tour une indication, à la plus nerveuse, contre la montre, en jouant avec un compte à rebours, ce qui modifie quelque peu la sensation de jeu. Quelque peu, car on reste toujours dans la même mécanique de devoir décrire ses cartes
IL est un petit jeu d’apéro sans grande prétention, à pratiquer en famille mais également en cours de langue pour développer son apprentissage des langues étrangères (que je vais m’empresser d’essayer d’ailleurs), sans grande originalité pour peu qu’on ait joué à Dixit (mais qui ne l’a pas encore fait sur la planète?) et qu’on possède aussi Dixit Jinx.
IL a toutefois le net avantage de pouvoir être transportable et jouable partout, au contraire de Dixit, voire même Jinx car IL est encore dans un plus petit format. Avec les vacances qui approchent, une partie d’IL le soir en bivouac serait tout à fait bienvenu.
Les illustrations des cartes
Un jeu qui pousse les joueurs à la créativité, à la subtilité, à l’improvisation et à la communication
La simplicité
Un party-game se déroulant dans les heures sombres de la France occupée, il fallait oser (like, si on en apprécie l’audace et l’originalité)
Les différentes règles de transmission possibles
Un petit jeu de voyage
Une copie de Dixit
Un party-game se déroulant dans les heures sombres de la France occupée, il fallait oser (pas like, si on trouve le thème déplacé). Mais à quand un bon jeu sur les camps de concentration?
Le danger que les parties se ressemblent car on aura bien fini par avoir fait le tour des 68 cartes et donc reconnaître les messages efficaces
Sympathique, sans plus
Des parties à 3 joueurs pas intéressantes, préférer le jeu à 5-6 joueurs.
Pas véritablement un party-game dans lequel on s’amuse, plus un vecteur de communication
Voici deux petites variantes de règles comme on les apprécie sur Gus&Co :
Transmission cachée : les joueurs (Wehrmacht + résistants) notent les deux résultats sur un petit bout de papier caché qu’on révèle une fois que tous les ont notés. Si plusieurs résistants ont trouvé, ils gagnent chacun un point et le speaker autant de points que de résistants qui a trouvé. Si la Wehrmacht trouve, elle marque deux points par carte et annule les points de tous les autres, speaker inclus.
Cette nouvelle transmission présente l’avantage de donner les chances à tous les joueurs et de ne pas choisir « par défaut » ou « au bol » ce qui n’a pas été choisi précédemment par erreur.
Infiltré : un espion allemand est infiltré parmi les résistants. On prend autant de cartes simples à jouer que de joueurs moins 1 (ex. si 5 joueurs, speaker inclus, on en prend 4). Une des cartes est de couleur différente (pique, par exemple). On distribue alors ces cartes face cachée aux joueurs, pas au speaker bien entendu.
Une fois que les deux cartes du speaker ont été trouvées, tout type de transmission confondu (1-4 + transmission cachée), les joueurs révèlent leur carte personnage et on attribue alors les points normalement. Cette variante présente l’avantage d’ajouter un poil de paranoïa à la table.
Chez Gus&Co nous avons toujours des exclus exclusives en exclusivité. Nous avons réussi à nous procurer l’enregistrement par un espion de la CIA de la rencontre entre Charles Chevalier, l’auteur du jeu IL, et Matthieu d’Epenoux, l’éditeur. Voici la retranscription du document ultra-confidentiel :
« CC : salut Mat, ça flottille?
MdE : hey Charly, oui oui ça va merci. Je reviens de Genève du Bar à Jeux, c’est vraiment un lieu formidable. Mais dis-moi, c’est quoi ces cartes que tu tiens là entre tes mains? On dirait un proto. T’as un jeu à me montrer?
CC : oui oui, un jeu hyper révolutionnaire, tiens-toi bien. C’est comme Dixit, ça ressemble à Dixit Jinx, mais c’est absolument différent hein, rien à voir du tout, ça se passe pendant la deuxième guerre mondiale. Génial, non?
MdE : yeaaaah, je prends! Signe là, là et aussi ici. »
Quelques codes historiques connus :
- La vache saute par dessus la lune
- Les carottes sont cuites
- Je n’aime pas la blanquette de veau
- Il est temps de cueillir des tomates
- Grand-Mère mange nos bonbons
6 Comments
BBX
Je trouve très intéressante la critique du jeu lui-même, mais peut-être un peu injuste le reproche concernant le thème. Pour moi il ne s’agit pas d’une forme de provocation (liée au côté party game) se déroulant pendant « les heures sombres de la résistance française », mais plutôt de valoriser et rendre hommage à l’imagination et la créativité dont ont fait preuve les résistants français pendant cette période. En matière de cinéma, de nombreuses comédies (au premier rang desquelles « la grande vadrouille ») traitent avec humour de cette période sans pour autant manquer de respect à son caractère dramatique.
J’espère d’ailleurs que ce jeu sera une occasion de rappeler ce mode de communication codé utilisé à cette époque à ceux qui ne le connaitraient pas.
A ce propos, la règle du jeu contient elle un rappel historique du thème, ce qui serait une (modeste) contribution au devoir de mémoire et permettrait de contextualiser le jeu ?
Matthieu d'Epenoux
GUS ne manie pas la langue de bois et c’est une bonne chose. En tant qu’éditeur du jeu, cette critique ne me pose pas de soucis car elle est argumentée (ce qui ne veut pas non plus dire nécessairement que je sois d’accord). La phrase de trop est certainement : « Mais à quand un bon jeu sur les camps de concentration? » mais je connais Gus et sais que c’est de la provocation un peu gratuite… Pour ce qui est du rappel historique dans la règle, on ne l’a pas fait, désolé. Pour info, ce jeu est un jeu de commande car cela fait des années que j’avais envie d’avoir un jeu sur Radio Londres et Charles a su relever le défi en proposant une mécanique simple qui a été sublimée par de belles illustrations. C’est bien sûr un hommage à la Résistance (et cela a été perçu comme tel par exemple par le Mémorial de Caen qui vend le jeu) et notre idée maîtresse a été de dédramatiser la chose en faisant des illustrations de résistants qui sont des gens comme tout le monde auxquels on peut s’identifier.
Gus
Salut Matthieu,
merci pour ton commentaire, j’imagine qu’il n’est pas toujours aisé pour les éditeurs de prendre la décision de réagir à une critique.
Quand je parle de camps de concentration, je ne faisais pas particulièrement référence à ton jeu hein, mais plutôt à une question que je me pose depuis longtemps, peut-on jouer de tout? Rire de tout, en ce qui me concerne, OUI! Mais jouer? J’ai 2’000 wargames sur la Deuxième Guerre Mondiale, moi-même prof d’histoire au lycée, et je me pose souvent cette question.
Devoir de mémoire? A discuter dans un prochain article.
Nicolas
Le pas est quasi fait dans le jeu vidéo:
http://www.introversion.co.uk/prisonarchitect/
construire et gérer une prison (et même le couloir de la mort…)
Geoffroy
J’ai bien aimé la critique. Même si je rejoins BBX sur cette notion de thème. Au contraire, je trouve l’adéquation entre la « simplicité » des illustrations et le sujet du jeu fort à propos.
Mémoire 44 propose de tuer les pions de l’adversaire en rejouant des batailles ensanglantées. Je ne vois pas en quoi c’est plus moral que de réincarner des résistants face à l’occupation allemande.
Enfin, comme Gus, je trouve le jeu trop proche de Dixit. Et l’idée des variantes est tout à fait pertinente pour ce type de gameplay. Enfin, je le trouve bien plus éducatif (mais je suis peut être un peu naïf) que Dixit puisqu’il permet un rappel historique tout en permettant des exercices de création intéressants.
Stephane Anquetil
Ce qui manque, oui, c’est idiot, c’est juste des petits smileys quand tu blagues ou provoques un peu. Sans, ça fait passer tes articles pour plus méchants qu’il ne sont.