Jeux de plateau

Comment réagir face aux critiques d’un jeu, avis croisés d’auteurs et éditeurs, chapitre 3

Flickr, Le Progrès, Damien Roué

Après notre article d‘interviews croisés de plusieurs auteurs de jeux sur la création, nous continuons notre “saga”. Nous avons demandé à des auteurs et éditeurs francophones de nous présenter leurs réactions face aux critiques de jeux sur le net ou ailleurs.

Raphaël Donzel, Bruno Cathala, Thomas Provoost, Bruno Sautter, Christian Lemay, Alain Ollier, Sébastien Dujardin, Régis Bonnessée, Alain Epron, Cyril Demaegd, Matthieu d’Epenoux, Sébastien Pauchon, Emmanuel Ebeltrando ont eu la gentillesse de répondre à nos questions. Un grand Merci à eux !

Au vu du nombre impressionnants de réponses reçues, nous avons décidé de découper ces interviews croisés en 3 chapitres.

Le chapitre 1, c’est ici

Le chapitre 2, c’est ici

Voici les questions que nous leur avons posées:

1. Lisez-vous les critiques de vos jeux sur le net (BGG, TT, Gus&Co) et / ou dans les magazines spécialisées (Plato, Spielbox…)?

2. Si vous avez répondu non à la question 1, pourquoi?

3. Si vous avez répondu oui à la question 1, comment réagissez-vous face à une critique positive? Et à une critique négative ?

4. Que conseilleriez-vous à de jeunes auteurs pour réagir face aux critiques en général?

5. Que pensez-vous des critiques de jeux en général ?

Voici leurs réponses:

Alain Epron (auteur de Maamut, Vanuatu, et auteur de Krok Nik Douil)

1. De manière générale oui, comme je lis aussi beaucoup de critique de jeux. Maintenant je ne le fais pas non plus de façon systématique et régulière. Je m’aperçois même que je le fais de moins en moins… c’est grave docteur ???

2. Ayant répondu oui je passe donc la question quoique la fin de ma réponse laisser sous entendre qu’en fait non.

En fait au départ, j’étais accro à la critique. Aujourd’hui j’ai passé ce cap et je n’y prête plus beaucoup d’attention, car au final ça n’a que très peu d’intérêt en dehors de quelques-unes.

3. De façon générale, assez bien, tous les goûts étant dans la nature. Par contre, je réagi assez méchamment contre le critique irrespectueuses. Le fait de ne pas aimer un jeu ne permet pas non plus de dire tout et n’importe quoi et une critique passe d’autant mieux lorsqu’elle est constructive. Enfin, mes parents m’ont toujours éduqué avec l’idée que ce n’est pas parce que l’on n’aime pas quelque chose que cette chose est mauvaise. Je pense que de nombreux critiques, professionnel ou amateur, devrait méditer sur cela avant d’écrire, tout comme ceux qui dès une première partie pense avoir tout cerné d’un jeu, surtout lorsqu’il s’agit d’un jeu complexe. Et cela est valable que la critique soit positive ou négative.

4. De prendre en compte les critiques constructives et d’oublier tout le reste. Avec le temps on arrive à cerner les personnes qui vous apporteront toujours quelque chose dans un sens comme dans l’autre et ceux qui ne font que ça parce que cela leur apporte une certaines jouissance, une certaine sensation de puissance, mais qui malheureusement n’apporte rien de constructif.

5. En général… pas grand chose. Avec le développement d’Internet, tout le monde peut dire tout et n’importe quoi, et surtout n’importe quoi, en ce cachant sous des pseudos. Je trouve cela pathétique à souhait. Il y a beaucoup de critiqueurs mais très peu de véritablement intéressants. Donc il est assez facile de les repérer et de se concentrer dessus. Pour prendre un exemple, une très grande majorité des avis postés sur TT ne servent strictement à rien, si ce n’est que l’auteur de l’avis s’est fait plaisir. Tant mieux pour lui, mais cela montre qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir en France sur ce point là (et pas seulement pour ce qui concerne le jeu de société). Malheureusement Je crois que c’est une qualité très spécifiquement française que la critique facile et cela n’est donc pas près de changer. C’est dans nos gênes. Les français sont de grands critiqueurs devant l’éternel C’est pourquoi je donne beaucoup plus d’importance aux sites étrangers (américain, allemand) qu’aux critiques françaises que l’on peut trouver sur TT, JDJ et autres, en dehors de Plato  que je continue de lire régulièrement.

Cyril Demaegd (auteur d’Ys, Amyitis, éditeur d’Ystari)

1. Au début je lisais tout, mais avec le temps on prend du recul, donc largement moins voire presque plus.

3. En fait la note m’importe vraiment peu. Bien entendu je suis toujours heureux de lire des critiques positives et toujours un peu malheureux de voir des mauvaises notes, mais il y a mauvaise note et mauvaise note.

Le fait que quelqu’un note très mal un de nos jeu parce qu’il n’est au final pas pour lui fait partie du jeu, donc ça m’ennuie pour la personne (surtout s’il l’a acheté) mais ça ne me blesse pas.
A l’inverse une note, même moyenne, où le commentaire me montre que le rédacteur n’a pas compris ce que nous voulions faire m’ennuie plus. Malheureusement nous faisons des jeux qui nécessitent souvent pas mal de parties pour être bien approfondis, et les notes arrivent parfois après une seule partie. Mais dans le contexte actuel (nombreuses sorties) on ne peut pas y faire grand chose. Au final disons que les critiques qui m’embêtent le plus au final sont celles ou je lis « ils auraient du faire ci ou ça ». Nous faisons généralement énormément de tests de nos jeux et ces « ci » et « ça » nous les avons tentés puis rejetés pour diverses raisons, mais évidemment l’auteur de la critique ne peut pas le savoir.

4. Je leur conseillerais de laisser couler (quelles soient bonnes ou mauvaises) mais en fait ce n’est pas si simple, surtout au début ! Par ailleurs « critique » a un côté assez péjoratif, mais je trouve qu’il y a également parfois des choses à apprendre des critiques. Le tout est de savoir prendre du recul, mais c’est cela qui est difficile !

5. Je pense que cela fait partie du jeu. Nous proposons un jeu à l’appréciation des gens, les clients ne sont pas tous riches et l’offre est pléthorique. Il faut bien un moyen de se renseigner et de trancher. A nous de faire le maximum pour produire le meilleur jeu possible, tout en sachant qu’on ne satisfera jamais tout le monde à la fois…

Matthieu d’Epenoux (éditeur de Cocktail Games)

1. Oui essentiellement sur TRICTRAC. Je trouve que BOARD GAME GEEK porte bien son nom : C’est beaucoup trop « geek » pour moi et je n’y vais que de manière très occasionnelle.

3. J’attachais au départ beaucoup (trop) d’importance aux critiques et avais tendance à prendre les critiques négatives comme une remise en cause directe de notre travail d’édition. Avec le temps, je suis devenu plus « zen » pour la raison suivante :

La notation de nos jeux sur TRICTRAC est le plus souvent inversement proportionnelle à nos performances commerciales. BLUFF PARTY qui n’est pas spécifiquement bien noté sur TRICTRAC est l’une de nos très bonnes ventes et inversement TRADER qui est littéralement plébiscité se vend assez mal.

Certaines titres de critiques négatives m’ont fait aussi rire : « We will escrok you » pour RYTHME & BOULET, j’ai juste trouvé cela fun.

4. Si possible de ne pas tout prendre pour argent comptant. Une critique isolée un peu raide c’est juste l’expression d’une personne X, à un moment Y avec des partenaires de jeux Z et ce n’est pas forcément l’expression de la sainte vérité. Par contre, plusieurs personnes qui fustigent avec discernement tel ou tel point du jeu, c’est qu’il peut y avoir effectivement un problème sur la règle et qu’il va falloir agir (s’il est encore temps).

5. C’est sain et indispensable et le plus souvent assez juste (même si de temps en temps) cela peut faire mal.

Sébastien Pauchon (auteur d’Yspahan, Jaipur, éditeur de Gameworks)

1. Je lis plein de critiques sur différents supports (imprimé ou virtuels) et bien sûr que je lis avec attention ce qui concerne nos jeux.

3. Par curiosité et sans doute par vanité, même si au final les chiffres de ventes sont plus déterminants sur la vie d’un jeu…

Dans les deux cas, avec modération. J’ai lu des choses positives sur certains de nos jeux (ou de Yspahan et Metropolys en tant qu’auteur seulement) qui n’étaient pas plus pertinentes que les défauts reprochés à d’autres. Dès lors, c’est au final bien égal. Ce n’est souvent que l’avis d’une personne, et son voisin pense peut-être le contraire.

Mais bien sûr que de manière générale, lire du positif sur soi ou son travail est plus agréable que de lire du négatif.

4. De garder une bonne distance et de ne pas y réagir de façon trop émotionnelle. Encore une fois, ni dans un sens, ni dans l’autre. Une superbe critique fait certes plaisir, mais ne va pas changer le cours de l’histoire, et une mauvais, bien que plus désagréable à entendre, non plus.Soyez d’autant plus préparé si c’est votre premier jeu, car on y met beaucoup il y a parfois de quoi être découragé.

5. Il y a plusieurs niveaux de lecture et de réponse à la question, je vais pour ma part me contenter de parler de la notion de critique négative.

Je trouve toujours surprenant de lire des critiques négatives, voire incendiaires.

Sur les forums, passe encore, c’est là la plaie d’Internet et de son anonymat. Mais dans des sites ou des magasines « officiels », j’avoue que cela me laisse songeur, surtout pour un marché de niche tel que le jeu de société dit « moderne ».

En effet, à quoi sert une mauvaise critique ?

Prenons la position d’un joueur/consommateur:

– Il n’a pas aimé le jeu, et en tant que consommateur, veut peut-être mettre en garde les autres dans sa position afin qu’ils économisent leur sous ?

– Il  pousse simplement un coup de gueule, parce qu’il estime ne pas en avoir eu pour son argent ?

Mis à part le ton désagréable que l’on pourrait souvent éviter, et le fait que certaines critiques laissent parfois transparaître soit une seule partie jouée –et donc pas de vision des finesses éventuelles du jeu– soit même une erreur de règle, chacun dit finalement bien ce qu’il veut et peut bien se plaindre comme il l’entend. Liberté d’opinion, tout ça, tout ça.

Prenons une critique « officielle ». Si on part du principe que les acteurs du milieu du jeu ont comme désir une propagation de leur hobby, une reconnaissance culturelle des jeux et tutti quanti, je me demande bien à quoi peut servir une mauvaise critique ?

– À mettre en garde les consommateurs ?

– À donner du crédit à leur organe/site/blog/émission, en montrant qu’ils ont un réel avis objectif et impartial ?

– À ne pas se faire traiter de bisounours ?

Il me semble que si l’on se concentrait sur les bonnes critiques, cela irait aussi. Comprenez-moi bien: s’il s’agissait de critiquer tous les titres qui sortent dans l’année, alors là. oui, il faut bien trancher :  celui-ci était génial, celui-là horrible, ce dernier moyen, etc. Mais comme c’est physiquement impossible, très loin s’en faut, et que l’on opère par définition un choix (assez arbitraire vu tous les laissés pour compte), pourquoi s’attarder sur les « mauvais » jeux ? Pourquoi affaiblir l’image générale des jeux de société (qui reste au niveau un milieu artisanal si on le compare par exemple aux jeux vidéos) au lieu d’utiliser cet espace et ce temps pour mettre en avant un autre bon jeu ?

Les « mauvais » jeux seraient déjà pénalisés par leur absence, pas besoin de s’inquiéter.

Si on regarde les divers prix comme par exemple le Spiel, on ne se focalise que sur la tête du peloton, on ne parle que des jeux qui sortent du lots, donc que de jeux jugés bons, et cela va très bien, personne ne met leur capacité ou leurs intentions en doute pour autant.

Je me demande si la critique négative n’est pas simplement une façon de se défouler, peut-être de la frustration de ne pas soi-même être créateur ? N’est-ce pas là la sempiternelle question entres critiques et artistes ?

Ou est-ce là le moyen de se mettre littéralement au-dessus des jeux en questions, ce qui aurait comme résultat de renforcer et donner du crédit à sa propre position de critique ?

Ou encore un moyen de se faire respecter parses pairs ? Si je dis toujours que ceci est bien et cela est bien, peut-être que je vais passer pour un mou du genou, alors que si je descend tel ou tel jeu en flamme, alors là oui, j’en ai dans le froc.

Ou un peu de tout ça en même temps ?

Ou rien du tout, la vérité est ailleurs ?

Je n’en sais rien, mais il y a là matière à réflexion…

Mais bien sûr, tout ceci ne reste qu’un avis subjectif de plus. Une critique des critiques négatives, en somme… 😉

Emmanuel Ebeltrando (éditeur de MoonsterGames)

1. Non, plus maintenant. C’est une façon comme une autre de ne pas devenir fou.

2. Souvent je lis des avis de gens qui sont tellement négatif et généraliste que en tant qu’éditeur cela n’est pas facile de rester confiant face à ça. Donc pour ma santé, je préfère éviter.

4. Parlez de moi en bien, parlez de moi en mal, l’important c’est que vous parliez de moi. Lire les avis mais ne jamais répondre.

5. Il y en a des très bien et des très mauvaises, tout le monde n’est pas capable de faire une vraie critique de jeu et pourtant bcp s’y essaient…

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2 Comments

  • shushu

    C’est dans le chapitre 3 de cette série d’interviews que le sujet remonte le plus : l’anonymat du net et les pseudos derrière lesquels on se cache lorsqu’on intervient sur un jeu.

    Je suis un peu déçu de lire cet antienne un peu éculé à mon goût. L’anonymat du net, c’est un bien, non un mal. Il garantit que celui qui écrit ne sera pas lu à l’autel des préjugés, que ce soit dû à sa localisation géographique, à son nom exotique ou d’ancien françois, à sa profession intellectuelle ou ouvrière, à son identité sexuelle, à tant d’autres choses qui nous permettent à chacun enfin de parler d’égal à égal.

    Si effectivement un joueur critique un jeu de façon pénible pour l’auteur / l’éditeur, sa façon d’écrire, mais aussi les autres jeux notés, son background ludique, ses interventions tierces sont autant d’éléments pour cerner un intervenant et comprendre les raisons pour lesquelles il n’aurait jamais aimé tel jeu ou simplement accepter que l’écart entre la perception du jeu et sa réalité laisse des gouffres par lesquels de multiples facteurs le poussent à tomber : facilité d’achat et de livraison sur le net, thématiques collées plus ou moins finement, complexité d’appréhension de certains jeux (ex : pour moi les JCE sont encore très compliqués à détourer), surproduction actuelle, etc…

    Enfin, c’est parce qu’internet est démocratique que la visibilité des jeux l’est également. Sans le net, l’économie du jeu de société serait peut-être bien moins saine qu’elle ne l’est.

  • UltraLord

    Pour avoir commencé à écrire quelques critiques, les avis négatifs sont toujours très difficiles. On ne souhaite pas blesser, on ne souhaite pas léser quelqu’un qui en vit, et en même temps, on ne veut pas mentir … même si la subjectivité est toujours en partie de mise, quelques soient nos efforts.

    Mais en réponse à Sébastien Pauchon, je dirai qu’une critique, c’est aussi beaucoup de temps passé à essayer un jeu. Et du coup, même si le jeu nous semble pauvre, moins intéressant que d’autres, on souhaite quand même terminer ce travail.

    Je ne crois pas que donner un avis négatif soit vraiment faire du tord aux jeux de société. J’avais d’ailleurs lu une étude qui disait en gros que les gens avaient tendance à apporter plus de crédit à un avis négatif bien argumenté qu’aux autres. Ces avis donnent une idée des points qui ont déplus, et permettent de savoir s’il nous dérangeront.

    A titre d’exemple, un jeu qu’on me présentera comme beaucoup trop familial aura énormément de chance de me convenir, car à la maison, j’ai des joueurs très très familiaux … Et inversement, un jeu lourd aura toutes les chances de me plaire …

    Maintenant, je pars du postulat que ces avis sont constructifs et un minimum objectif, ce qu’il n’est pas toujours possible de faire. En tout cas, merci à tout le monde pour ces réponses fort instructives. Au plaisir de vous critiquer prochainement.

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