Jeux de plateau

Critique de jeu : Ora & Labora

Aides de jeu

Nous avons publié un petit guide stratégique, à lire ici.

Nous avons également publié une aide de jeu pratique.

Présentation

Ora et Labora (OL) est sorti fin 2011 en vf chez Filosofia, un jeu de plateau créé par Uwe Rosenberg, pour 1 à 4 joueurs, d’une durée de 120′ (en tout cas, mais comptez plus).

OL complète le quadriptyque du même auteur commencé en 2007 avec Agricola, suivi de près par Le Havre en 2008 puis par Loyang en 2009. OL reprend, en gros, les mêmes mécaniques de gestion de ressources et développement.

Thème

« Ora et Labora » signifie « prie et travaille » en latin. Et c’est bien le cas, puisque dans OL il s’agit de gérer un monastère au Moyen-Age. On y récolte du blé, on y fait du pain, de la bière, des reliures, et tout ce genre de joyeusetés cléricales.

Le thème, même si bien exploité, passe finalement en arrière-plan puisque dans OL l’important est sa mécanique, pas tellement son thème. On n’a pas le loisir de sentir plongé dans un univers dépaysant puisqu’il faudra rapidement optimiser ses choix et planifier ses prochains tours.

Matériel

Les illustrations sont toujours les mêmes que dans les autres épisodes du quadriptyiques, signées Klemens Franz.

Le Havre avait déjà placé la barre haute dans la quantité de ressources différentes à gérer. OL fait encore plus fort ! Non seulement le nombre de ressources est important, mais il faut savoir que chacune présente une version de base au recto et une version améliorée, upgradée, au verso. Donc on passera sa partie, comme dans Le Havre, à collectionner et gérer moult petits bouts de carton.

De plus, comme dans Agricola, les joueurs commencent la partie avec un tableau personnel, recouvert en partie par des forêts et des marais tourbiers. En plus de leur action unique par tour, les joueurs peuvent également acheter une extension à leur domaine qui viendra s’y ajouter (un peu à la manière du 3e champ de Bonhanza du même auteur, ou Zooloretto). Ainsi, les joueurs verront peu à peu leur fief s’étendre. Prévoir beaucoup de place sur une grande table ! Non, on ne jouera pas à OL dans un train.

Le véritable souci du jeu réside dans ses cartes. Les bâtiments sont en effet représentés par ainsi, mais les cartes sont bien plus petites que celles du Havre ou Agricola. L’éditeur a certainement voulu faire petit pour faire pratique et limiter la place sur la table, au détriment de la lisibilité et de l’ergonomie.

Le problème c’est que les joueurs ne jouent pas seulement sur leurs propres bâtiments mais peuvent se poser et activer ceux des autres joueurs, exactement comme dans Le Havre. Puisqu’il faudra constamment observer le jeu des autres pour pouvoir bénéficier de l’action d’un bâtiment intéressant, la petitesse des cartes / bâtiments diminue fluidité et lisibilité, voire même carrément le plaisir du jeu. Un peu déçu / frustré / fatigué par la taille et la difficulté de tout lire et tout voir correctement chez les autres, certains feront le deuil d’exploiter le jeu des autres pour se concentrer au final que sur son propre jeu.

Mécanique

OL est un jeu de placement d’ouvriers, d’optimisation et de gestion & développement. Tout un programme.

Le jeu contient 4 livrets : une mise en place, une règle simplifiée et illustrée, une règle complète et une description de tous les bâtiments.

Les règles sont extrêmement bien expliquées et claires, mais en ouvrant la boîte et en voyant tous ces livrets, on croit s’attendre à un jeu excessivement compliqué. Comme dans la plupart des jeux de l’auteur, la mécanique est finalement bien plus simple que les règles ne le laissent paraître.

A son tour, un joueur n’a qu’une seule action à disposition, à choix parmi 3 actions disponibles :

1. activer un bâtiment avec un moine disponible. Cela peut même être un bâtiment d’un autre joueur, pour autant qu’on lui paie de l’or, du vin ou du whiskey ( !) pour la peine.

2. déforester ou détourber (oui, ça se dit) l’une de ses cases et recevoir la ressource correspondante

3. construire un bâtiment en payant les ressources correspondantes.

Bref, c’est très simple et presque fluide. Mais comme on ne dispose que d’une action à son tour, ou 2 à 2 joueurs, faire le bon choix s’avérera extraordinairement difficile.

La mécanique principale repose sur une rondelle, un peu semblable à celle de Finca. A savoir que la quantité de ressources à disposition augmente au fil des tours. Dès qu’un joueur s’empare d’une ressource, le stock de celle-ci retombe à zéro.

Même si la rondelle s’avère intéressante, presque innovante, en tout cas ingénieuse, on retombe dans cette mécanique alternative de « stop ou encore » déjà présente dans Agricola et Le Havre, que j’ai, au passage, facétieusement repris dans mon extension pour 7Wonders, Commerce : prendre tout de suite ce qu’il y a ou attendre qu’il y ait plus.

Comment marquer des points ?

Chaque bâtiment compte un certain nombre de points de victoire, certaines ressources améliorées également, ainsi que le système matriciel d’agglomération. Non, n’arrêtez pas votre lecture ici après cette formulation capillo-tractée.

Le jeu est divisé en plusieurs phases, de A à D. Quand l’aiguille de la rondelle passe par l’une de ces étapes, le jeu s’interrompt momentanément et les joueurs peuvent acheter un bâtiment d’agglomération. En fin de partie, tous les bâtiments adjacents (pas en diagonal) à ces agglomérations rapporteront des points supplémentaires.

Si dans Agricola et Le Havre il fallait nourrir ses travailleurs, au risque de prendre des désavantages, si dans Loyang il fallait remplir les attentes de ses clients pour ne pas perdre des points de victoire, dans OL ce n’est plus le cas. En effet, la seule véritable « corde au cou » que l’on ressent est représentée par ces phases d’agglomération. On sait très bien quand elles arrivent, on connaît les ressources nécessaires pour acheter un bâtiment, mais on n’est pas obligé de s’y astreindre.

Dans notre petit guide stratégique, nous vous le conseillons, il est fort judicieux de prévoir un tel achat au moment opportun.

Il faudra par conséquent composer en matrice comme dans Tournay, sachant que certains bâtiments se construisent sur des terrains particuliers, côte, mer, montagne, plaine, et que la surface de son terrain deviendra de plus en plus petit.

Interaction

L’interaction d’OL est froide. On ne peut pas s’en prendre directement aux bâtiments des autres joueurs, mais on peut les payer pour utiliser leurs ouvriers, comme dans Tournay, pour pouvoir exploiter leurs bâtiments.

De plus, puisque tout est visible, on sera en constante concurrence avec les autres joueurs pour les points de victoire, même si la course est moins flagrante que dans Loyang mais toutefois plus simple à compter que dans Agricola. On ne parviendra pas à tenir un décompte constant des points des autres joueurs, mais on aura une petite idée sur leur avancement, notamment s’ils ont joué plusieurs bâtiments d’agglomération.

Les premières parties auront tendance à être jouées tout seul dans son coin, mais on aurait bien tort de ne pas observer le jeu des autres pour pouvoir s’adapter et en bénéficier.

Conclusion

OL n’est pas un mauvais jeu, mais pas un grand jeu non plus. Pourquoi ? Car il vient après ses deux grands frères, Agricola et surtout Le Havre.

Je me souviens très bien de ma critique et de mon ressenti du Havre une année après avoir joué à la véritable bombe ludique Agricola, et j’ai trouvé la comparaison délicate. Le Havre avait déjà poussé Agricola encore plus loin dans ses retranchements ludiques d’optimisation et gestion. Et bien OL en est le prolongement complexifié. Moins froid que Le Havre, mais bien plus complexe.

OL est un bon jeu, tendu, riche, profond, tout ce qui rend un jeu excellent. Mais voilà, OL reprend trop de mécanismes aujourd’hui galvaudées, trop présentes dans les jeux précédents de l’auteur lui-même qui ne parvient décidément pas à sortir de ce cercle vicieux de ressources, bâtiments et optimisation.

OL est un bon jeu, mais hormis la rondelle et la mécanique matricielle, on rejoue les mêmes poncifs : certains bâtiments donnent des ressources, d’autres les transforment pour les améliorer…

OL est une copie complexifiée du Havre. D’ailleurs, si OL est sorti en 2011, l’auteur dit avoir commencé y travailler en 2009, quelques mois après la sortie du Havre; on peut aisément constater une forte inspiration.

Certes, il paraît un peu simpliste de conclure cette critique par un tel avis qui se limite au comparatif, mais après les 3 jeux précédents, on peut légitiment se demander à qui est destiné ce jeu :

1. à des joueurs qui n’ont jamais joué aux précédents opus ? OL est alors bien trop complexe.

2. à des joueurs qui n’ont jamais joué à Le Havre ? Pourquoi pas, car les joueurs ne sentiront pas les redondances évidentes.

3. aux fans, comme moi, des précédents jeux ? Oui, pourquoi pas, mais OL n’apporte rien de neuf, si ce n’est une complexification et la mécanique matricielle d’agglomération.

Ce que j’ai beaucoup aimé

Retrouver l’ « univers Agricola »

La patte habituelle de l’auteur

Des premières parties laborieuses dû aux nombreux bâtiments différents, le nez dans les règles. Se référer à notre article sur la Révélation Flagrante à propos de ce phénomène.

La rondelle et la logique matricielle

La tension, générée par l’action unique et la gestion

Des choix difficiles ; du pur « hard fun » que j’affectionne tout particulièrement (à lire notre analyse de la différence entre « simple fun » et « hard fun »)

Les différents modes de jeu, court ou long, ainsi que deux versions différentes du jeu, Irlande ou France, qui changent très modérément le jeu.

Y jouer à 2 ou 3

Que l’auteur « redresse la barre » après le calamiteux Merkator

Que l’éditeur offre 15 ziplocks avec le jeu, fort pratique pour ranger toutes les ressources

Ce que j’ai moins aimé

Une copie du Havre complexifiée

Il serait enfin temps que l’auteur passe à autre chose

La petite taille des cartes qui fait totalement perdre au jeu son ergonomie

La pléthore de petits bouts de carton

Y jouer en solo : on y affronte un joueur neutre artificiel, pas fluide. La version solo est anecdotique et désagréable.

Y jouer à 4 : surtout, surtout ne pas y jouer à 4, les tours s’éterniseront. Même l’auteur lui-même le déconseille pour les premières parties, tellement il y aura de choses à gérer et observer.

Notre guide stratégique pour le jeu à lire ici.

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2 Comments

  • Hainaut Manuel

    Bonjour et merci de votre travail. Je me pose lune question à chaque fois que je vois une
    telle critique qui dit qu’il y a trop de mécanismes repris d’un autre jeu (ça arrive très souvent avec Knizia et Rosenberg), c’est que vous traitez les jeux comme des romans ou des films. Sur un jeu, je trouve que ce n’est pas du tout un problème de reprendre pour améliorer et variée, surtout si vous aimez le précèdent. Par exemple Spring meadows est de loin mon préféré des 3 tetris Rosenberg: heureusement qu’il ne s’est pas arrêté avant ! Sur un film, évidemment ça serait tres ennuyeux.

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