Jeux de plateau

Quand ton hobby devient ton job, interviews, chapitre 1

Bang bang bang bang, Flickr, by abrinsky
Bang bang bang bang, Flickr, by abrinsky

Il y a quelques jours j’ai reçu un email d’un internaute, Ismaël de Colmar, qui m’expliquait vouloir démissionner de son travail, et comme il apprécie énormément les jeux de plateau et les jeux de rôle, il m’a demandé ce que je pensais de son idée de vouloir en faire son métier, d’une matière ou d’une autre. Je lui aussitôt répondu qu’il n’était pas facile de « quitter » son hobby pour en faire son métier. De 1, pas facile d’en dégager suffisamment d’argent, et de 2. du coup on se retrouve sans hobby.

Cette question m’a donc furieusement donné envie d’interviewer certains pro de la scène ludique actuelle francophone, auteurs, éditeurs, vendeurs, pour savoir comment eux avaient vécu la transition.

Vous souvenez-vous des interviews croisés d’auteurs pour savoir comment ils réagissaient face à la critique parus en juillet 2012? Nous avions même posé la question à Michael Schacht.

Et bien rebelote ici.

Dans ce premier volet d’interviews, voici Bruno Faidutti, Sébastien Pauchon, Emmanuel Beltrando, Maxence Dumontet. D’autres professionnels nous ont répondu, tel que Monsieur Phal, Antoine Bauza, Mathilde de Gigamic, et bien d’autres. La suite au prochain chapitre.

Et vous, n’avez-vous jamais rêvé de tout plaquer pour créer un jeu, monter une maison d’édition, faire de votre hobby et passion votre métier?

Merci à tous les pro qui ont eu la gentillesse et la courtoisie de répondre à nos 5 questions, à savoir :

  1. Jouais-tu aux jeux de société avant de devenir professionnel-le (auteur ou éditeur) ?
  2. Qu’est-ce qui t’a fait passer pro ?
  3. Hormis un salaire exorbitant que même Bill Gates envie, quels sont les avantages d’être devenu pro ?
  4. Quels sont les désavantages ?
  5. T’arrive-t-il encore de jouer juste pour le plaisir ?

Pour commencer, voici les réponses de Bruno Faidutti, auteur de jeux (Mascarade, Citadelles)

BrunoFaidutti

  1. Jouais-tu aux jeux de société avant de devenir professionnel-le (auteur ou éditeur) ?

D’abord, précisons que je ne suis pas, au sens strict, un professionnel, puisque je suis toujours prof d’économie et de sociologie en lycée, et poursuis occasionnellement mes études d’histoire.

Sinon, j’ai toujours été joueur, mais pas toujours de jeux de société – même si c’est le domaine auquel je suis toujours revenu. J’étais un très bon joueur d’échecs à l’adolescence, puis j’ai fait un peu de jeu de rôles. Pendant une dizaine d’années, j’ai consacré le plus clair de mes soirées au poker – avant que tout le monde ne se mette à y jouer – et de mes week-ends au jeu de rôles grandeur nature. Bref, le jeu sous toutes ses formes m’intéresse, comme activité mais aussi comme thème, car je réfléchis beaucoup sur le jeu et sa fonction dans les sociétés modernes.

Pour revenir aux jeux de société, je ne mets pas de frontière stricte entre les différents types de jeu – jeux de rôles, jeux vidéos, jeux de société me semblent des cousins assez proches, et je pense que quiconque joue à l’un pourrait jouer aux autres – ce que confirment d’ailleurs aussi bien mon expérience que les études de marché.

2.       Qu’est-ce qui t’a fait passer pro ?

Si être pro signifie consacrer à la création quelques heures par semaine et gagner de l’argent avec les jeux, cela s’est fait tout seul, insensiblement. Si cela signifie en faire son activité et sa source de revenus unique ou principale, je n’ai pas encore fait le saut. Je le ferai peut-être si Mascarade marche comme Citadelles – il a l’air bien parti pour – mais pour l’instant, je passe encore plus de temps à préparer mes cours qu’à faire des jeux, même si certaines années les jeux m’ont rapporté plus.

Parmi les raisons qui me font hésiter, il y a des questions pratiques, qui touchent l’irrégularité des revenus, les ambiguïtés du statut légal de l’auteur de jeu en France, et l’obligation dans laquelle je serai d’avoir une comptabilité précise, de noter mes dépenses professionnelles, et toute une série d’activités bureaucratiques qui m’ennuient profondément.

Il y a aussi des raisons plus personnelles. Je crains de me sentir très mal à l’aise si je n’ai plus un boulot un peu « militant », un boulot dans lequel j’ai le sentiment d’avoir une utilité sociale, d’apporter des connaissances et des idées. Si j’abandonne complètement mon boulot de prof, cela signifiera que je ne travaillerai plus que pour gagner de l’argent. Même si je suis très content d’en gagner assez pour vivre confortablement, je crains, moralement et politiquement, de ne pas supporter cela. J’ai aussi peur que cela modifie ma relation avec les jeux et, paradoxalement, bloque un peu ma créativité.

Le boulot de prof de lycée a aussi un grand avantage, il me permet de rencontrer, parmi les élèves et même parmi les enseignants, des gens très différents par leur âge, leur manière d’être, leurs passions, leur culture, et donc m’apporte une certaine ouverture sur le monde. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’activités professionnelles qui ouvrent ainsi sur un monde aussi divers. Le milieu du jeu de société est l’exact opposé. C’est un milieu très sympathique, honnête, dynamique, mais où les gens – les acteurs comme l’on dit maintenant – se ressemblent beaucoup. Ils ont plus ou moins le même âge, les mêmes passions – le jeu -, souvent les mêmes références culturelles. Cela rend cet univers agréable et reposant, mais je crains de me retrouver un peu enfermé, de perdre une certaine ouverture sur l’extérieur si je délaisse complètement l’enseignement. Je finirai sans doute par travailler à mi-temps.

3.       Hormis un revenu exorbitant que même Bill Gates envie, quels sont les avantages d’être devenu pro ?

Comme je l’ai dit, je ne me considère pas vraiment comme pro, ou à demi seulement. Les avantages que j’en tire sont assez conséquents. D’abord, je touche chaque année entre 30 et 60.000 euros de droits d’auteur (au neuf dixièmes pour Citadelles), qui s’ajoutent à mon salaire de prof de lycée, ce qui me donne des revenus assez confortables. Surtout, j’ai toujours un grand plaisir, qui relève autant de l’amusement que de la vanité, à jouer les vedettes, et je trouve très agréable d’être quelqu’un de connu et de reconnu, d’être invité sur les salons, d’être celui à qui tout le monde vient serrer la main, etc… Même si je ne suis qu’une toute petite vedette dans un tout petit monde, j’y prends un certain plaisir.

4.       Quels sont les désavantages ?

Je n’en vois pas beaucoup…. Peut-être, ces dernières années, le manque de temps et d’occasions de jouer aux jeux d’autres auteurs. Et puis, les désavantages d’avoir, en fait, deux boulots à presque plein temps – je n’ai pas le temps de sortir ou de lire autant que je le voudrais.

5. T’arrive-t-il encore de jouer juste pour le plaisir ?

Je ne joue que pour le plaisir, et je ne conçois que des jeux auxquels j’ai plaisir à jouer.

Merci Bruno pour tes réponses!

Voici les réponses de Sébastien Pauchon, auteur de jeux (Yspahan, Jaipur) et patron de Gameworks, maison d’édition (PIX, Jamaica)

Pauchon

1.       Jouais-tu aux jeux de société avant de devenir professionnel-le (auteur ou éditeur) ?

J’ai toujours été joueur (Échecs, Mah-Jong, Monopoly, Risk, Stratego, Trivial, Pictionnary, bref les classiques) en tant que gamin et ado, puis beaucoup de jass au Gymnase. Je n’ai découvert les jeux dits modernes que tardivement, en 2001 avec Condottiere puis Carcassonne.

2.       Qu’est-ce qui t’a fait passer pro ?

Le hasard de la donne : mes première créations m’ont valu des prix (2 x Boulogne-Billancourt & la bourse de la relève à Göttingen), j’ai organisé la première rencontre suisse d’auteur avec le Musée suisse du jeu la même année, beaucoup de presse, ce qui a mené aux commandes de Animalia et Jamaica par la société d’assurance Assura. Vu l’ampleur des projets, nous avons (avec Malcolm Braff) fondé GameWorks, et hop, me voilà pro depuis 2006.

3.       Hormis un salaire exorbitant que même Bill Gates envie, quels sont les avantages d’être devenu pro ?

Ben les filles, les bagnoles, tout ça, quoi.

4.       Quels sont les désavantages ?

Aucun, je crois. Enfin si, y’a pas mal de paperasse niveau administration, distribution, service après vente, etc. dont je me passerais allègrement. Mais bon, ça fait partie du jeu.

5.       T’arrive-t-il encore de jouer juste pour le plaisir ?

Ah ben oui, tout le temps. Sinon ça ne vaut pas la peine… J’ai bien sûr un regard qui ne peut s’empêcher d’être critique sur les jeux que je joue, au-delà des règles, mais cela ne m’empêche pas de toujours jouer avec le même plaisir. Enfin, quand le jeu me plaît, hein, on s’entend.

Merci Seb pour tes réponses.

Voici les réponses d’Emmanuel Beltrando, patron des éditions Moonster Games (Gosu, Koryo).

Manu Beltrando, éditeur de MoonsterGames

1. Jouais-tu aux jeux de société avant de devenir professionnel-le (auteur ou éditeur) ?

Oui, J’ai commencé avec le jeu de rôles en 83, j’étais précoce 🙂 puis jeux de plateau jusqu’à Magic et depuis non-stop !

2. Qu’est-ce qui t’a fait passer pro ?

Le jeu c’est toute ma vie, c’était donc logique d’en arriver là. De plus avant Moonster Games je n’ai presque travaillé que dans le jeu, SEGA, Wizard of the Coast, Ostelen, Parkage, Asmodee, etc..

3. Hormis un salaire exorbitant que même Bill Gates envie, quels sont les avantages d’être devenu pro ?

Faire un métier qu’on aime vraiment. Partir bosser presque tout les jours avec le sourire. Laisser une trace de son passage dans le monde ludique. Pouvoir rencontrer des gens exceptionnels comme CROC, Fred Henry, Marc Nunes, etc…

4. Quels sont les désavantages ?

Les trolls, mais il y en à partout ! Sinon, trouver une merveille de jeu comme Hattari et se prendre une gamelle éditoriale avec…

5. T’arrive-t-il encore de jouer juste pour le plaisir ?

Oui, essentiellement dans un environnement nouveau ou les gens découvrent toute cette richesse ludique, comme les salons ou journées jeux au Japon et/ou en Corée du Sud.

Merci Manu pour tes réponses!

Voici les réponses de Maxence Dumontet, gérant de Xenomorphe, la boutique spécialisée de jeux à Genève.

xeno1.       Jouais-tu aux jeux de société avant de devenir professionnel-le (auteur ou éditeur) ?

Évidemment ! Il s’agit avant tout d’une passion, qui pour ma part est née dès ma plus tendre enfance. J’avais deux grands frères qui faisaient du jeu de rôle et je m’y suis intéressé à partir de 7 ou 8 ans. Avec eux, j’ai fait mes premières armes dans les jeux de société, mais à l’époque il s’agissait surtout de jeux très grand public (Risk, Atlantide, Cluedo…) et vers mes 12 ans, j’ai commencé à m’intéresser aux jeux de figurines et je pouvais me rendre plus facilement dans les boutiques locales de jeux. A partir de là, ma ludothèque a commencé à prendre beaucoup d’ampleur 😉

2.       Qu’est-ce qui t’a fait passer pro ?

J’ai fait une formation dans le commerce tout d’abord, sans vraiment savoir ce que je voulais en faire. Après avoir travaillé à droite et à gauche, j’ai voulu absolument lier l’utile à l’agréable et je voulais ouvrir une boutique moi-même, mais l’investissement était trop important pour moi ; en découvrant Xenomorphe, c’est tout naturellement que j’ai proposé mes services d’animateur dans un premier temps, et avec le temps je suis devenu vendeur, puis gérant de la boutique. Donc je suis passé pro un peu par chance, mais aussi avec une grosse volonté d’y arriver !

3.       Hormis un salaire exorbitant que même Bill Gates envie, quels sont les avantages d’être devenu pro ?

La possibilité de pouvoir tester beaucoup de jeux comble pour moi tous les désavantages du job !! Le contact avec des distributeurs, des éditeurs et des auteurs est aussi extrêmement intéressant. J’adore également partager ma passion et chaque nouveau client est un défi potentiel : trouver le jeu qui conviendrait le mieux ! Avec l’expérience, on repère plus facilement les différents types de joueurs et c’est toujours pour moi une énorme satisfaction de voir un client venir nous remercier pour les bons conseils prodigués.

4.       Quels sont les désavantages ?

Les désavantages ne sont pas très nombreux… Le côté administratif est souvent assez lourd, mais jouer, c’est aussi apprendre à réfléchir pour résoudre des problèmes, et ça sert énormément dans la vie de tous les jours. Evidemment, le salaire dérisoire de notre branche peut passer pour un désavantage, mais personnellement, je préfère pouvoir travailler dans un domaine qui me passionne.

5.       T’arrive-t-il encore de jouer juste pour le plaisir ?

Le plus possible, au grand dam parfois de ma petite amie… La plupart du temps, il est vrai que le test des jeux est plutôt « professionnel », j’analyse les mécaniques, la durée, le fun, etc. Donc un test n’est pas forcément un plaisir à chaque fois (parfois, on teste des trucs vraiment bizarres…). Mais dès que je peux me faire une soirée jeux, j’en profite ; sauf quand la semaine a vraiment été trop chargée ludiquement !

Merci Max pour tes réponses!

La suite au prochain chapitre avec les interviews de Thomas Provoost (Repos Prod), Mathilde de Gigamic, Michael de la boutique Philibert…

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